Bain de minuit (coraux), 2013
Tapisserie originale (mohair, lurex, fils phosphorescents). N°3/5
270 x 130 cm
QUE TOUT SE TRANSFORME
Originaire de Marseille, Laurence Aëgerter partage son temps entre sa ville natale et Amsterdam, cité d’adoption où elle s’était d’abord rendue pour poursuivre ses études d’histoire de l’art au début des années 2000.
Fascinée par l’image et ses métamorphoses, l’artiste nous invite à regarder autrement, à renverser les perspectives et les ordres établis de notre perception, brouillant les pistes entre le signifié et son signifiant. Les époques et les lieux dialoguent et se confondent pour révéler de petits et grands mystères, les images se découvrent par strates qui chacune invite à d’autres hypothèses de compréhension, d’interprétation. D’énigme en énigme, le spectateur est pris dans un immense jeu de piste et de correspondances qui est en quelque sorte le fil rouge de son oeuvre. Puisant dans les archives universelles de la photographie, de l’histoire des arts, ou bien s’appuyant sur ses propres clichés, Laurence Aëgerter propose des travaux qui sont habilement pensés mais qui ont la particularité de conserver une part instinctive, une naïveté presque enfantine qui nous les rend accessibles et touchants. Là où l’érudition ne dresse pas de barrières mais construit au contraire des ponts entre les temps et les mondes. Le musée, le livre, deviennent des supports vivants.
L’artiste questionne cette substance élémentaire qu’est l’image, qui abreuve abondamment notre société contemporaine, en convoquant à l’appui de ses recherches une multitude de techniques, à la fois artistiques et artisanales. La photographie d’abord mais aussi la tapisserie, la céramique, le verre, le découpage, le collage, la collecte… tout peut servir à Laurence Aëgerter, tout se transforme et tout communique avec joie.
Les solutions plastiques sont infinies : la poudre phosphorescente qui s’enrobe poétiquement de verre qu’elle expérimente au CIRVA (Centre international de recherche sur le verre et les arts plastiques) de Marseille, donnant naissance à Moirai - Lucioles des Mers, les cataplasmes végétaux comme rituel de guérison inventé sur des photographies de paysages blessés… Elle ressuscite même des techniques quasiment oubliées comme la lithophanie, qu’elle met en oeuvre dans les ateliers du musée de Sèvres, réalisant, à partir d’un daguerréotype agrandi, une fine plaque de céramique translucide à la surface de laquelle la lumière seule, provenant du revers de la pièce, sculpte l’image de sorte à la rendre visible. Cette oeuvre délicate qui se penche sur le sommeil d’un petit enfant était présentée à l’occasion de l’exposition consacrée à l’artiste à la fin de l’année 2020 au Petit Palais, Ici mieux qu’en face, au cours de laquelle Laurence Aëgerter a tissé des liens entre les pièces anciennes de la collection du musée et notre propre temporalité. Nous tenions tout particulièrement à présenter à la Reine Jeanne la série de tapisseries Longo Maï qui, à partir d’une archive photographique anonyme puisée sur le web, propose une plongée sous les eaux de la Méditerranée. Ce qu’il y a sous la calanque, sous les têtes émergées des baigneurs nous est ainsi révélé, intervertissant l’ordre habituel de notre entendement. Les jambes s’agitent pour faire surface mais de la vie terrestre, on ne distingue rien. Ce que nous montrent ces tapisseries, c’est le caché, le secret d’un autre monde, une réalité qui ne perçoit que des corps sans tête. Une profondeur, un mystère.
La verticalité des oeuvres nous immerge, nous plonge intensément dans un univers maritime, flottant, où les corps sont en apesanteur. Tiroir à double fond, un secret en cache un autre. L’artiste a tissé ses baigneurs de fils phosphorescents. Puisant à la lumière le jour, les corps luisent somptueusement la nuit. Derrière un masque, en apnée, tapi près des coraux, dissimulé à la vue de tous, l’enfant émerveillé retient son souffle le plus longtemps possible. Longo Maï : pourvu que ça dure…
Les oeuvres de Laurence Aëgerter sont conservées dans de nombreuses collections publiques, en France et à l’étranger, notamment à la Bibliothèque Nationale de France, au Musée Borély des Arts décoratifs et de la mode, au MAMAC de Nice, à la Manufacture de Sèvres, à la New York Public Library, au Paul Getty research Center Institute à Los Angeles, au Spencer Museum of Art dans le Kansas, au Museum van Loon à Amsterdam, au Museum Voorlinden à Wassenaar, au Fotomuseum de Rotterdam, au Museum Het Dolhuys, Museum of Psychiatry and the Mind à Haarlem, au Fries Museum de Leeuwarden… Cet ensemble de quatre tapisseries, Longo Maï, fait partie des collections permanentes du Musée des Arts décoratifs, de la Faïence et de la Mode de Marseille. Il est ainsi visible aux murs du Grand Salon du Château Borély, dans un espace consacré à la création et au design contemporains.