Vue de Marseille, joute et fête sur l'eau, 1791
Huile sur toile
82.50 x 120.50 cm
Provenance :
Vente Christie's Londres, 27 novembre 1852 (attribué à Joseph Vernet), n°44
Collection Patrick Anderson
Metropolitan Museum of Art, New-York, 1955-1990
Vente Mercier et Cie, Lille, 24 octobre 1999, n°242 (avec une paternité retrouvée)
Collection privée, France
Expositions :
Salon de 1791, Louvre, Paris, n°50
Musée de Dayton, 1951
The Eighteen Century Woman, Metropolitan Museum of Art, New-York, 1981-82, reproduit au catalogue d'exposition en p. 53.
Eighty Years of French Painting from Louis XVII to the Second Republic, Galerie Stair Sainty Matthiesen, New-York, 1991, n°7.
Marines et ports méditerranéens, Monaco, 18 février - 15 mars 2009 puis Palais des Arts, Marseille, 28 mai - 13 septembre 2009, reproduit au catalogue d'exposition en p.21.
Bibliographie :
Charles Eschard, peintre dessinateur et graveur, Caen, Musée des Beaux-Arts, 1984, cité sous le n°75 (avec la mention d'une localisation inconnue)
Jean-François et Philippe Heim, C. Béraud, Les Salons de peinture de la Révolution Française (1789-1799), Paris, 1989, p. 202 (avec la mention d'une localisation inconnue)
MARSEILLE EN FÊTE
Longtemps conservé au Metropolitan Museum of Art de New-York sous une attribution erronée, la paternité de ce tableau n’a été rétablie qu’à la fin des années 1990, après que le musée l’eut cédé. Auparavant, on pensait avoir perdu la trace de cette toile d’Eschard, qui avait était présentée à l’occasion du Salon de 1791, répertoriée au catalogue de la manifestation. La mention d’une « localisation inconnue » accompagnerait ainsi systématiquement sa notice dans les publications qui l’évoqueraient par la suite.
Lorsqu’elle est vendue aux enchères pour la première fois en 1852, chez Christies à Londres, c’est déjà sous une autre attribution : le tableau est cédé à un collectionneur comme étant une oeuvre de Joseph Vernet et c’est ainsi qu’il intégrera, des années plus tard, en 1955, les collections du MET. À l’occasion d’une revente en France en 1999, le tableau retrouve enfin sa paternité.
Son auteur, Charles Eschard (1744-1820), est un peintre, dessinateur et graveur originaire de Caen, formé par Jean-Baptiste Descamps (1714-1791) à l’Ecole de dessin de Rouen. Agréé auprès de l’Académie Royale de peinture et de sculpture, Eschard exerça aussi à Paris comme professeur au sein de l’académie de dessin fondée par le comte de Rohan-Chabot.
Au Salon de 1791, il présente ainsi ce tableau dans les salles du Louvre. Cette vue de Marseille à la fin du XVIIIème siècle est exceptionnelle et intéres- sante à plusieurs titres, notamment car elle permet une rare incursion auprès des remparts de la ville.
Si la cité médiévale était d’un périmètre réduit, la forte expansion démographique à la période moderne va obliger la ville à se doter de nouveaux remparts, délimitant une zone plus vaste, notamment sous le règne de Louis XIV. En réalité, ces fortifications, décidées par le pouvoir royal, ont un double intérêt : d’une part, bien évidemment, les murailles érigées tout autour du lit- toral servaient de protection aux agressions étrangères, particulièrement car on a conservé le douloureux souvenir de la mise à sac de la ville par les Catalans, qui, à la fin du XVème siècle, sont entrés dans Marseille par la mer, emportant avec eux comme trophée (et comble d’humiliation pour les marseillais) la chaine de protection qui fermait chaque soir le Vieux-Port. Désormais « Toutes ces costes sont bordées de murailles et on ne peut approcher avec des bateaux » précise une carte de la baie de Marseille à la fin du XVIIème siècle, conservée au cabinet des estampes de la BNF.
Mais ceinturer la ville présente également un autre intérêt pour la royauté, qui se méfie de la population locale, encline à se révolter. Ainsi entouré de murailles, le territoire est plus facile à contrôler en cas de rébellion.
François 1er avait déjà doté la ville de ses deux premiers forts militaires, que nous pouvons distinguer sur le tableau, l’un sur la colline de Notre-Dame de la Garde, où il fut érigé autour de la chapelle qui se trouvait déjà sur le promontoire, l’autre sur l’île d’If. Au fond de la composition, sur la droite, est l’archipel du Frioul.
L’on peut également voir un certain nombre de moulins, qui étaient stratégiquement installés en hauteur, pour la plupart sur la butte du Panier, afin de profiter au mieux de la force des vents. D’après la position des bâtiments remarquables qui existaient déjà à cette époque, que nous venons d’évoquer, et grâce à la Tour du Fanal, qui nous indique avec précision l’emplacement du Vieux-Port, nous pouvons penser que cette fête populaire sur l’eau se déroule entre la pointe Saint-Lazare et le Cap Pinède, c’est à dire du côté d’Arenc, dans le quartier de l’Estaque. Nous connais- sons d’ailleurs à cet avant-port une longue tradition liée aux joutes sur l’eau.
Quant à la population qui habite cette composition, elle est dense et diverse, du mendiant au noble en perruque. Pêcheurs, lavandières, musiciens, danseurs et buveurs, voyageurs aussi peut-être, se retrouvent sur la plage pour cette célébration maritime.
Au moment où est peint ce tableau, Marseille est alors, avec Bordeaux, le plus grand port du commerce extérieur français et la ville connaît une très forte croissance urbaine, rattrapant les pertes démographiques de la grande épidémie de peste de 1720. Pour ces raisons notamment, il est intéressant pour la royauté de tourner un peu son regard vers cette grande cité portuaire, qui est évidemment une importante source de revenus et même, une véritable manne financière.
Mélangée et bouillonnante, vivante et enjouée, telle est la foule marseillaise qu’Eschard représente dans son tableau et il est amusant de se figurer que, la désignant, ces caractères n’auront pas beaucoup changé au fil des siècles...